Thailande du sud au nord : long-boat, latérite à la tonne, et triangle d'or
Entrer en Thaïlande, voilà bien un sujet qui nous a préoccupé pendant les quelques mois de préparation du voyage et jusqu'en Mongolie ! Cela fait deux ans que le gouvernement a choisi d'interdire l'entrée du pays aux véhicules étrangers (excepté les frontaliers). La raison serait que des groupes d'une centaine de camping-car chinois envahissent le pays, et que celui-ci n'aurait pas les infrastructures pour les absorber. Très embêtant pour les nombreux voyageurs comme nous, car il n'existe pas d'autre alternative pour continuer sa route, la Thaïlande est bordée de mers... D'où la création de comités qui se battent depuis tout ce temps pour continuer à nous laisser rentrer. Il y a même un groupe FB attitré sur la question : « Thailand - new regulation affecting overland travellers on foreign vehicle ».
Ce qui se passe en réalité est que quelques petites frontières isolées laissent encore passer certains voyageurs au compte-goutte, suivant l'humeur du jour, le bon vouloir de l'équipe en place, la tête du client (il n'est en revanche pas question de payer pour cela). Et les noms de ces frontières circulent entre voyageurs... Certains passent, d'autres non, le tout étant encore bien hasardeux.
A notre tour, les informations sont que depuis la Malaisie, on ne passe pas par la frontière principale, ni par les frontières de l'ouest. Le document officiel d'interdiction à même été placardé récemment sur les murs du poste frontière dans cette zone. La frontière qui a la cote est celle de Betong qui mène droit sur les trois états en rouge sur le site du Ministère des Affaires Etrangères : conflit entre gouvernement Thaï et Malais au sujet de ces trois états jugés extrêmement dangereux et qui ont fait l'objet de nombreuses attaques terroristes... On n'est guère trop pressés d'aller y rouler 300km en n'ayant pas la possibilité d'être à plus de 50km/h ! En chemin on se décide donc pour une option innovante : on va tenter notre chance par la frontière principale. Elle n'a pas été tentée depuis quelques temps et ces derniers mois toutes les familles que l'on connaît ont réussi à rentrer par le Cambodge ou le Laos, il semble donc y avoir du relâchement. Si on échoue, on pourra toujours voir si on a le courage de se rabattre sur les frontières de l'est...
C'est donc un peu stressés que l'on arrive devant les grilles avec nos six plus belles têtes d'innocents, prêts à clamer notre désinformation et notre étonnement si on nous renvoie en Malaisie... Mais rien de tout cela. L'officier des douanes sort, jette un œil dans notre camion, nous demande notre carnet de passage (normalement inutile pour la Thaïlande mais on s'est bien gardés de faire la moindre remarque), le signe, ne dit rien... On n'y croit pas trop, on remplit les documents pour obtenir les visas à la vitesse de l'éclair en espérant que personne ne change d'avis ou ne réalise son erreur... et on file dare-dare. En deux heures nous étions de l'autre côté, à savourer une petite victoire !
On se trouve rapidement des bahts, une assurance (17 euros pour 3 mois), et une carte sim. Encore une bonne surprise : internet illimité pour un mois pour 10 euros ! On aura finalement utilisé 80 gigas pour le mois en mises à jour, téléchargements et films presque tous les soirs ! Quand on repense à nos 2 gigas ouzbeks que l'on n'a même pas réussi à utiliser tant le réseau était mauvais...
Sachant que l'on compte faire une boucle Thaïlande, Laos, re-Thaïlande, Malaisie on choisit de continuer à remonter la côte ouest, laissant la côte est pour le retour. Passé d'innombrables plantations d'hévéas notre première étape est tout simplement idyllique... On laisse le camion pour prendre un « long-boat » qui nous mène à Koh Kradan, une ile dans un archipel bien au sud du pays, heureusement trop loin pour nombre de touristes. Eau turquoise, poissons colorés, bungalows sur la plage, restaurant excellent et peu cher, palmiers qui ombragent le sable et l'eau, pas de sandflies ni de méduses...
On serait bien restés là plusieurs jours mais on voudrait croiser Luca et Yas que nous avions rencontré en Mongolie, ils sont à Koh Lanta un peu plus au nord et vont partir pour la Malaisie. On file donc pour les rattraper. L'ile est une des rares que l'on peut atteindre avec son propre véhicule à l'aide d'une barge qui nous a semblé bien petite pour notre mastodonte ! Hélas nous n'avons jamais réussi à trouver nos amis voyageurs et nous nous sommes ratés de peu. L'endroit est déjà clairement plus touristique que notre ile du sud, mais l'avantage est qu'avec son propre moyen de locomotion, on arrive toujours à trouver des endroits où personne ne va... Nous avons été frappés de voir le nombre d'étrangers qui travaillent quelques mois ailleurs pour ensuite venir habiter sur l'ile pendant un an ou deux, il y a même une école internationale et deux écoles suédoises rien que sur Koh Lanta !
Continuant notre route vers le Nord on s'arrête dans la jolie baie de Krabi, hésitant un peu à faire la sortie attendue vers Koh Phi Phi et sa fameuse « Plage » de Maya Bay qui a servi au décor du film éponyme. Loin, trop de monde, on se décide plutôt pour une sortie vers plusieurs petites iles juste en face et que l'on atteint en dix minutes... Résultat, on a passé la première moitié de la journée à observer de jeunes russes poser devant leur photographe officiel de croisière qui les accompagne sur toutes les plages ! Mais on a aussi pu atteindre des iles tout à fait désertes et un vrai lagon...
Plus loin nous reprenons un bateau pour découvrir la baie Phang Nga qui a servi au décor d'un James Bond cette fois : L'Homme au Pistolet d'Or. Très belle baie qui permet aussi de passer sous une arche de pierre et de voir un village flottant, nous avons imaginé la vie des personnes qui grandissent là, posés sur l'eau au milieu de ce décor si peu commun.
Nous passons à côté de l'ile de Phuket, rapidement à Khao Lak, et quittons alors la côte pour rejoindre les parcs nationaux au centre de cette langue de terre. C'est alors un paysage plus vallonné de jungle et de lianes que l'on retrouve. Un barrage artificiel a même permis d'y créer le réservoir de Chiao Lan que nous avons parcouru en partie, toujours en bateau, lors d'une balade assez paisible.
C'est ce jour que nous avons fêté notre Albe ! Ce sera la seule qui aura eu la chance de fêter deux fois son anniversaire lors du voyage, elle aura passé l'entièreté de sa neuvième année à dormir dans un camion et à voyager ! La voilà a son 10ème anniversaire, un de ceux qui comptent... et elle aura bien changé lors de cette année. Déjà un peu adolescente et beaucoup plus autonome. Elle adore lire et pour l'occasion, nous avons trouvé à remplir copieusement sa liseuse de nouveautés.
Retrouvant la longue route centrale qui permet de remonter la péninsule on s'arrête encore pour quelques plages, sur la côte est cette fois, toujours aussi déserte par endroits... mais peuplée de méduses géantes !
Pendant ces dix premiers jours en Thaïlande nous avons littéralement vécu en maillots de bain et en chaussures en plastique à nous tremper tous les jours... Et le soir, pour se rincer, nous allions piquer une tête dans les piscines des Resorts de luxe que l'on trouve partout, moyennant quelques mango juices servis au bar, on nous a toujours accueillis les bras ouverts. On a beau ne pas être fascinés par les plages il faut bien avouer que cette petite pause mer-soleil nous a bien reposés.
Mais compte tenu des 30 jours de visas qui nous sont donnés, nous quittons pourtant le sud du pays pour découvrir sa partie centrale. Nous nous amusons à parcourir le pont de la rivière Kwai et son train qui nous passe littéralement devant les pieds après avoir visité le - beaucoup moins amusant - musée dédié aux nombreux prisonniers qui y ont travaillé et qui sont morts pour le construire sous le commandement japonais.
C'est ensuite que nous avons remonté le temps en parcourant toutes les anciennes cités antiques thaïes aux centaines de vieux temples en latérite : Ayutthaya avec son bouddha de pierre enchâssé dans un banyan, Lopburi avec son temple envahi de singes et où nous avons eu la chance d'assister à la fête de la ville, Kamphaeng Phet, où nous avons aussi repéré des masseurs sur le bord de la rivière et une grande piscine en plein air, Sukhothai où on peut bivouaquer seul au pied d'un chêdi multi centenaire, Sri Satchanalai où l'on déniche encore des temples perchés au sommet de collines, Lamphun et Lampang, où l'on visite encore des temples de style Lanna parmi les plus beaux que nous ayons vu en Thaïlande.
Un peu en indigestion de temples, comme après avoir vu des centaines de mosquées en Asie Centrale, nous étions assez heureux d'arriver dans la partie Nord du pays pour changer de registre... La région produit 90% de l'artisanat du pays et aux alentours de la ville de Chiang Mai on trouve très facilement les ateliers de production, nous nous sommes arrêtés dans un grand atelier de fabrication d'ombrelles, les enfants ont suivi toutes les étapes et un des peintres a même complété notre collection de drapeaux !
Nous y avons enchainé les marchés, dont la visite de l'immense « Sunday Market » avec une autre Famille Autour du Monde (rencontrée par le groupe des FAM's sur FB) : Anne, Christophe et leurs grands enfants Johann et Rémi (www.TDM320.com). Nous nous étions en partie renippés pour la rentrée à Kuala Lumpur et avons encore fait quelques achats pour remplacer tous les habits trop petits, troués, tachés, déformés, immettables et de façon à avoir un stock suffisant pour ne faire de lessives qu'une fois par mois.
Parmi les nombreuses activités proposées à Chiang Mai nous avons aussi opté pour un cours de cuisine thaïe en famille (balade au marché incluse) ! Profitant du fait que les enfants sont enfin un peu réconciliés avec les plats asiatiques qui avaient bien du mal à passer jusque là, on s'est amusés à reproduire les poulet au lait de coco, Pad Thaï, curry et mango sticky rice avec pas mal de succès !
La ville nous a beaucoup plu, pas de visite culturelle incontournable, c'est plutôt l'ambiance de ses rues très animées qui la rend attrayante. Nous la quittons pour tenter un tour dans le nord ouest de la ville à la rencontre des nombreuses ethnies montagnardes qui y vivent et pour accéder à la beauté des paysages plus sauvages de la région, mais la route compte 1864 virages sinueux, et après nous être lancés vaillamment nous avons finalement abdiqué et fait demi-tour pour Chiang Rai.
C'est là que notre deuxième bombonne de gaz a fini par se vider... Nous avions rempli en Ouzbékistan (facile, le pays entier fonctionne au gaz et non à l'essence), et en Mongolie (renseignés par l'auberge Oasis qui accueille régulièrement de gros camions et camping-car avec ce genre de besoin) mais n'avions pas eu besoin de remplir à nouveau depuis lors. Nous avons tenté un remplissage mais, malgré notre tuyau permettant d'adapter les embouts (gentiment donné par PA à Kuala Lumpur ! Merci à lui !), le tout fuitait et nous n'avons pas réussi à trouver une solution. Résultat, nous éteignons le frigo dès qu'il fait nuit (le soleil n'alimentant plus nos panneaux solaires, nous ne pouvons pas puiser dans nos batteries qui ne tiennent pas toute une nuit de consommation de frigo). Et pour la rare cuisine que nous faisons, nous étions déjà passés depuis la Malaisie à la solution du réchaud à cartouches de gaz pour cuire à l'extérieur, préservant l'intérieur du Truck de la chaleur. Les pleins d'eau potable se font par contre extrêmement facilement, il suffit de demander à n'importe quel restaurant de téléphoner au livreur d'eau et quelqu'un arrive dans les cinq minutes avec tous les bidons nécessaires.
La ville de Chiang Rai est plus petite et moins animée que Chiang Mai mais elle vaut tout de même le détour pour sa production artistique contemporaine, trois temples étranges y ont été construits : un blanc, un noir et un bleu. Leurs créateurs ont voulu, chacun dans leur style, mettre en scène une vision singulière de la religion bouddhiste.
Un peu frustrés d'avoir avorté la boucle vers le nord ouest et la frontière birmane on se laisse happés par des panneaux sur le bord de la route : « Village Long-neck & Akha ». Nous pensions que c'étaient des villages touristiques (dont on paie d'ailleurs l'entrée comme un musée) et qu'il n'y aurait sans doute rien d'authentique là dedans, mais que nous apprendrions peut-être des choses sur les modes de vie de ces personnes... Mais nous tombons dans un vrai traquenard. On se retrouve à être les seuls visiteurs devant des allées entières de boutiques de souvenirs... Mais le pire n'est pas là, on se rend compte au fur et à mesure de la balade, entre des fils barbelés, que nous sommes en train de traverser un vrai village, avec les maisons des gens qui vivent là vraiment, leur linge qui pend, leurs animaux qui courent, etc. Ce qui donne tout à fait l'impression d'être rentré dans un zoo humain ! Cela ne nous met pas à l'aise du tout. D'autant plus qu'on constate que ces villageois sont très pauvres, et qu'on ne voit personne sortir à l'extérieur. A se demander si l'argent du prix d'entrée leur revient vraiment ? Par ailleurs on découvre que les colliers des femmes-girafes sont extrêmement lourds, c'est une spirale pleine (ce ne sont pas des anneaux), en laiton, qu'elles n'enlèvent que pour les remplacer par des spirales plus longues et étroites lorsque les côtes de leurs vertèbres se sont affaissées sous le poids (et les muscles en dessous ne sont bien sûr plus capables de grand chose). Elles dorment donc avec et commencent à les porter à l'âge de 5 ans ! Par ailleurs elles portent aussi des spirales sur le haut du mollet et qui sont clairement trop petites pour la jambe. Nous avons appris par la suite que ces pratiques d'un autre âge avaient été progressivement abandonnées, mais que les touristes (nous donc), qui trouvons un attrait à voir cela, sommes une nouvelle rentrée financière et que cela aurait incité à reprendre ces habitudes... Nous aurions préféré payer l'entrée d'un vrai écomusée, comme nous l'avions fait à Taiwan ou à Bornéo, où chacun à l'occasion de parler de ses traditions, de présenter son habitat, ses recettes, ses tenues traditionnelles etc. tout en rentrant chez lui le soir. Si l'on rajoute que les Karen (dont font partie les « femmes-girafes ») sont en réalité birmanes, et que ce groupe vit maintenant sous un statut de réfugié politique en Thaïlande, pour la plupart dans des camps près de la frontière, cela rend le tableau encore plus grinçant.
Ce n'est pas la seule activité qui pose des questions éthiques en Thaïlande... le pays est aussi connu pour la possibilité de faire des balades à dos d'éléphants. Mais là encore il semble y avoir débat : les nacelles portées par ces animaux seraient délétères, de même que le nombre d'heures de travail imposées (bientôt un syndicat?), où l'utilisation des crochets que les cornacs emploient pour les diriger... Une « filière parallèle » de « balade éthique » s'est donc crée pour préserver les animaux, on marche alors à côté des animaux, ou on monte un peu à crue, mais l'activité est surtout orientée vers le fait de les nourrir et de se baigner avec eux dans une rivière. Mais là c'est le prix qui coince ! Aussi cher qu'une journée entière au Parc Paradisio ! Bref, en Thaïlande il semble qu'il faille choisir ses activités avec précaution...
Avec le temps qu'il nous reste nous poussons jusqu'à l'extrême nord du pays faire une boucle dans le « Triangle d'Or ». Nous passons rapidement au village frontière avec la Birmanie pour jeter un œil à son immense marché et posons notre Truck à un endroit mythique : celui de la rencontre avec le Mékong, là où il sépare la Thaïlande du Laos, et où la Birmanie se termine. D'un seul regard on embrasse donc le fleuve et les trois pays. Jadis la zone fut désertée des touristes et extrêmement dangereuse car c'est là que se passait le trafic de l'opium, fabriqué à partir de la fleur de pavot justement cultivée par les ethnies montagnardes. La reine mère, récemment décédée, a largement œuvré pour éradiquer ce trafic en travaillant à la base : elle s'est fait construire un palais dans la zone et a fait conduire des études de sol pour inciter les villageois à diversifier leurs cultures, laissant progressivement tomber le pavot. Tout son travail semble avoir porté ses fruits et un musée passionnant « The Hall of Opium » a été crée pour sensibiliser les visiteurs à la façon dont il se cultive, à son histoire, aux enjeux économiques autour de sa vente, et aussi à ses effets.
C'est de cet endroit que nous comptions passer la frontière la plus septentrionale pour le Laos. Mais la veille, en zoomant au plus large pour voir les routes qui nous attendaient de l'autre côté on découvre avec effroi qu'il s'agit de 500km de lacets et de montagnes pour rejoindre Luang Prabang ! Nous nous voyons encore limités par notre véhicule qui n'est pas du tout optimal pour des routes en montagne. On se projette déjà en train d'avancer en première pendant des heures à faire surchauffer la machine en priant pour que rien ne flanche dans la mécanique au mauvais endroit. Pas trop désireux de vivre dix jours de ce tableau on envisage les options alternatives. Il semble que ce soit de faire un détour de 1000km vers le sud pour entrer par la frontière ouverte aux étrangers suivante... et ce en 3jours de visa qu'il nous reste ! Nous voilà partis pour de longues heures de route.
C'est donc le dernier jour de notre visa que nous arrivons à la frontière, prêts à franchir le Pont de l'Amitié qui nous mène directement à la capitale Laotienne, Vientiane.