Bornéo: Sabah, orangs-outans, forêt primaire et Tambunan
Arrivés à Kota Kinabalu, dans le territoire de Sabah malais de l'île de Bornéo, il est passé minuit. On s'attrape une carte sim à l'aéroport et un Uber pour nous mener dans une auberge de jeunesse du centre ville. Le lendemain on se met en quête de notre camion qui devrait être arrivé au port. Difficile de tomber sur le bon interlocuteur, qui d'ailleurs n'avait pas anticipé notre arrivée. Rien n'est prêt. La personne responsable nous donne finalement rendez-vous à 15h30 pour nous dire qu'elle va photocopier et prendre nos documents, mais qu'elle ne peut plus rien faire le jour même vu que tout ferme à 16h.... Nous passons donc une 2ème nuit dans notre auberge (30 euros pour six, petit déjeuner compris, voilà qui console) et récupérons en effet le camion le lendemain!
Mais une nuit tout seul sur les quais avec les clés sur le contact et les portes avant restées ouvertes aura suffi à faire plaisir à un visiteur... On nous a allégé de notre radio et de nos baffles, ainsi que des quelques autres affaires qui trainaient encore devant... dont certains de nos gris-gris! Nous étions prévenu et avions fait le vide en entreposant beaucoup de nos affaires à l'arrière, mais le peu qu'on a laissé n'est pas resté!
Une fois les clés en main on se met en quête d'une assurance pour pouvoir conduire. Le premier bureau trouvé nous annonce qu'ils ne peuvent pas donner d'assurance pour les véhicules qui ne sont pas immatriculés en Malaisie... idem pour le 2ème. C'est seulement au 3ème essai que l'on trouve quelqu'un qui se donne le mal de chercher une solution et qui parvient à nous trouver une assurance valable pour 3 mois, et y compris à Brunei que nous comptons traverser. L'avantage est que c'est le premier pays de ce voyage où tout le monde parle anglais! Voilà qui simplifie énormément toutes ces démarches.
Nous retrouvons notre Truck assez contents tout de même, mais réalisons que le dernier mois va être dur: la chaleur est étouffante, et nous n'avons ni air conditionné, ni ventilateur en état de fonctionnement! L'opération fraicheur va devenir notre priorité. Après avoir rempli un gros bidon d'eau potable dans notre auberge et fait un tour sur le village flottant de la ville nous prenons la route (toujours à droite!) de l'altitude où nous espérons trouver un climat fréquentable pour nous réinstaller dans notre camion.
En chemin il montre de nouveau un signe de dysfonctionnement. On se gare rapidement sur le côté près de boutiques de souvenirs: un câble semble s'être relâché... Peut-être est-ce dû au fait que le moteur n'a pas tourné pendant un mois? Toujours est-il que c'est le signal qui nous indique que nous allons devoir nous arrêter plus longuement pour vérifier la mécanique également. Lorsque nous avons rallumé le moteur les vendeurs se sont jetés sur leurs babioles pour venir en offrir aux enfants! Nous sommes repartis avec mini flutes, porte-clés et autres bracelets estampillés au nom du Sabah.
Une fois passé les premières collines nous arrivons le soir même au pied du mont Kinabalu qui culmine a plus de 4000 m. L'endroit est relativement aménagé. On se gare sur le parking et on part en reconnaissance des lieux pour voir si on peut passer la nuit là lorsqu'on se fait rattraper par un petit bonhomme à moto. Il nous apprend qu'il tient une auberge de jeunesse en contrebas et qu'il a vu passer notre camion. Il a bondi sur sa moto pour nous chercher parce qu'il veut nous inviter! Il nous dit qu'on peut diner et déjeuner chez lui, prendre des douches, utiliser les toilettes, faire des lessives... Il a lui même quatre enfants et aime qu'il y ait de l'ambiance chez lui: il serait donc ravi de nous avoir sur son parking!
On fait donc quelques mètres pour se ranger devant chez Jungle Jack! L'ambiance de cette auberge de jeunesse ne peut laisser indifférent: terrasse extérieure avec vue sur les collines, palmiers ça et là, un vieil anglais à l'humour caractéristique et son fils qui font un voyage commun annuel, un couple italo-allemand en voyage depuis plusieurs mois, trois copains australiens qui viennent pour escalader la montagne en deux jours, Jack qui nous reçoit comme si c'était notre oncle, et les cuisinières qui s'activent à préparer pour toute la bande des repas plein de légumes cultivés sur place! Nous y avons passé une soirée mémorable lors de laquelle tous ont dû gouté au Durian: l'odeur très prononcée de ce fruit est selon la perception de chacun celle de pieds qui puent, de vomi, de fromage pourri, et le goût ne dément pas l'odorat. A se demander comment autant de personnes vivant en Asie peuvent décemment adorer ce fruit!
Les enfants ont passé deux jours à jouer avec les neuf chiens et chiots qui se trouvaient là tandis que je remettais tout à sa place et que Nicolas se trainait sous le camion pour le graisser et vérifier ce qui n'allait pas. Notre câble trop lâche s'est rapidement détaché complètement. Nicolas a donc fait quelques aller-retours à la ville suivante pour tenter d'en racheter un, mais sans succès. Il a dû trafiquer une réparation de fortune qui pour le moment tient toujours.
De nouveau opérationnels nous avons fait un tour au jardin botanique avant de reprendre la route. Nous y avons trouvé des plantes carnivores énormes (les népenthes), des orchidées, les arbres nus qui n'ont pas d'écorce pour se protéger des envahisseurs, etc. C'est plus loin que nous avons aussi trouvé un jardin de rafflesia. La fleur la plus grande du monde (elle atteint 70 cm de diamètre) aux allures de plante préhistorique est endémique de Bornéo. Il existe différentes variétés dont une peut se cultiver, ce qui permet aux visiteurs d'en voir sans avoir à tomber par hasard dessus au milieu de la jungle. Elles mettent neuf mois a éclore et ne sont ouvertes que pendant une semaine! Cela reste donc un coup de chance de pouvoir tomber sur une fleur qui est effectivement ouverte. Les deux premiers jours elle dégage une odeur de viande avariée pour attirer les mouches qui aident à sa pollinisation, mais par la suite on peut s'en approcher sans être incommodé!
Plus loin dans la même vallée se trouvent des sources chaudes dont les abords ont été aménagé, on se promène dans un jardin de papillons, sur des ponts suspendus dans la canopée, près d'une petite cascade qui se jette dans une rivière, puis jusqu'à une grotte remplie de chauve-souris et surtout: on peut se tremper dans une grande piscine bien fraiche pour se remettre de la chaleur et de ces balades! Les enfants se sont jetés à l'eau avec leur père pendant que j'observais la stratégie à adopter : retour en pays à grande proportion musulmane, aucune femme en maillot de bain, très peu dans l'eau... j'ai fini par y aller habillée! C'est là que Colomban notre 3ème a fait ses premières longueurs tout seul sans brassards! Nous y avons passé la soirée avec Peter et Monica, un couple habitant en Afrique du sud que nous aurons recroisé encore quatre ou cinq fois à Bornéo par la suite.
En nous enfonçant d'avantage dans le centre des terres pour rejoindre la rivière Kinabatangan on se rend compte à quel point Bornéo souffre de la déforestation de sa précieuse forêt primaire au profit de plantations de palmiers pour le commerce de l'huile de palme.
Tout au long de la route on ne voit quasiment que des palmiers, de temps en temps une zone de jungle apparaît, mais disparaît bien vite. Autour de la rivière un "couloir de vie" a été préservé pour que les animaux sauvages puissent continuer à vivre. Notamment les éléphants pygmées d'Asie, dont une quarantaine habitent encore en liberté sur les berges au côté de crocodiles, singes nasiques, macaques, orangs outans, varans, etc. Nous avons pris un petit bateau à moteur qui nous a fait remonter la rivière pour tenter d'apercevoir toute cette faune et avons en effet vu les singes et un varan, mais pas de crocodiles lors de notre passage. Et les éléphants se trouvaient à cinq heures de bateau en amont de la rivière... trop loin pour nos têtes blondes qui s'impatientaient déjà après deux heures de balade.
Garés devant la chambre d'hôte de Maria, celle-ci nous a invité pour prendre des douches et cafés sur sa terrasse au bord de l'eau. Elle nous a expliqué qu'elle fait partie de la tribu des Orang Sungai "gens de la rivière" et que plusieurs villages de sa communauté sont établis bien plus haut sur l'eau. Certains ne sont accessibles que par bateau et nous avons d'ailleurs vu passer le bateau "médical" qui s'y rend en deux jours tous les deux mois pour effectuer les consultations. Nous avons appris plus tard que la reconnaissance entre tribus se fait justement en fonction des rivières. Chacune est "propriétaire" d'une rivière différente, comme en Mongolie la répartition se fait par vallée. A Bornéo, lorsque deux inconnus se présentent la question qui se pose immédiatement est donc: "De quelle rivière est-tu?"
Nous ne continuons pas la route au sud qui mène au cœur de Bornéo vers "Danum valley", la partie de forêt primaire la plus préservée et dont l'accès est soumis à un permis spécial. Nous faisons demi-tour pour nous rendre au centre de réhabilitation des orangs outans de Sepilok. Ce centre est un des plus gros lieux touristiques de Bornéo mais il est situé en zone rouge sur le site du Ministère des Affaires Etrangères français et belge. Depuis que nous sommes arrivés nous demandons aux touristes et aux locaux s'ils y ont été et si c'est dangereux... Et tous nous rient au nez. Tous les touristes que nous avons croisé y ont été, et même bien plus loin jusque sur la côté prétendument infestée de pirates philippins habitant la mer des Célèbes et ayant prêté allégeance à Daech. Selon leurs témoignages, la côté est clairement renforcée de militaires et il y a des contrôles à l'entrée des rivières. Certains touristes plus prudent nous disent que si on veut vraiment faire attention peut-être faut-il éviter les plages désertes... mais que le reste de la côté, et en tout cas le centre de Sepilok leur ont semblé très sûr. A vrai dire, nous sommes les seuls à poser des questions à ce sujet... Avec ces informations nous faisons le compromis de ne pas aller jusqu'à la côte mais optons tout de même pour le détour de 20km dans la zone concernée pour voir les orangs outans. Nous y trouvons des dizaines de cars de touristes avec des lodges bondés et une file pour entrer...
Ce centre recueille les bébés orangs outans blessés, handicapés, abandonnés ou capturés et tente de les rendre à la vie sauvage avec une réussite de 60%. Les tout-petits sont nourris et exercés dans un espace de "jeu" qui se trouve à l'orée de la jungle... petit à petit ils se familiarisent avec leur espace et le débordent pour se rendre naturellement dans le milieu sauvage. Pour les plus grands une plateforme a été construite et de la nourriture y est disposée deux fois par jour à heure fixe... mais personne n'oblige les orangs outans à sortir de leur jungle pour venir. Lors de notre 1ère visite aucun d'entre eux n'a d'ailleurs fait le déplacement. Nous sommes en fin de saison des pluies, la forêt regorge encore de nourriture et il semble qu'ils aient moins besoin du centre. En revanche lors de notre 2ème passage une femelle enceinte s'est rendue sur la plateforme. Elle s'est par la suite promenée sur le site juste devant nos yeux qui n'y croyaient pas, jusqu'à ce que les gardiens parviennent patiemment à la faire retourner dans la jungle.
C'est là que nous rencontrons Max, un malais qui cultive du poivre dans le coin, et que nous passons la soirée chez Mama (la dame qui aime notre camion) avec un couple de polonais, Kasia et Martin, venus en vélo de chez eux jusque là!
Très rapidement la femme de Max, Joséphine, nous écrit sur notre blog pour nous inviter dans son village à Tambunan. Nous regardons la carte: pas sur la route que nous pensions emprunter mais vers le sud tout de même... pourquoi pas? Nous acceptons et lui signalons notre arrivée pour le lendemain fin d'après-midi.
Difficile de décrire l'accueil hyper-investi que nous avons reçu de la part de Joséphine, puis de la ville toute entière! Elle nous a promené partout: sur le plus grand pont de singe de Malaisie, à la cascade d'à côté, au marché en nous expliquant tout sur les fruits, légumes et recettes, au belvédère qui offre une vue sur toute la vallée, aux restos sympa du coin, voir un gros rocher bizarre qui sonne creux... Elle s'est coupée en quatre pour nous montrer tous les trésors de sa ville pendant que ses filles et les nôtres enchainaient les jeux. A Tambunan nous avons carrément fait le buzz sur les Facebook locaux qui surchauffaient de posts sur notre passage. Avec les Paiwan de Taiwan voilà une autre petite communauté avec qui nous espérons garder des contacts à plus long terme.
Nous nous sommes extirpés à reculons de l'endroit ayant en tête la date de notre prochain shipping et le nombre de kilomètres à parcourir encore jusque là. Surtout qu'à la sortie nous nous sommes engagés dans une route bien plus montagneuse que nous l'aurions cru, avec des pentes à plus de 15%! Le camion a avancé pendant bien plus d'une heure en 1ère et nous avons plus qu'espéré ne pas tomber en panne sur cette portion précise. Nous n'imaginions pas la possibilité de rester coincés ou de se faire remorquer sur une telle pente ni dans un sens ni dans l'autre. C'est donc assez crispés que nous sommes finalement arrivés à l'extrémité du Sabah, à vue de la frontière de Brunei que nous prévoyions de passer le lendemain.