Sibérie 2ème : de l’hiver à l’automne...
Petit rappel de l’épisode précédent : nous arrivons en Russie de nuit après avoir abimé la barrière de douane mongole et que Nicolas se soit cassé un os du pied. Outre le fait de racheter une carte Sim pour les 30 jours de traversée vers Vladivostok, nous faisons donc aussi une halte pour acquérir une béquille.
En route vers Tchita nous bivouaquons dans un premier endroit pas trop loin de la route, près de la forêt et surtout assez sale, beaucoup de détritus aux alentours. Le lendemain matin Nicolas repère rapidement qu’un de nos pneus est bien trop ventru… et voilà notre première crevaison ! Au village suivant nous sortirons de notre roue un clou de 7cm !
Passé le changement de pneu et un plein d'eau on se remet en route avec la neige… nous n’avons pas mis deux jours à tomber sur une pente verglacée… voitures coincées en travers dans la descente… nous ne prenons pas le risque de continuer avec nos dix tonnes sans pneus neige et faisons demi-tour. Nous avons entamé la seule route qui traverse la Sibérie dans sa partie extrême orientale, beaucoup de camions sont sensés l’emprunter aussi et nous pensions que la neige serait déblayée mais ce n’est pas le cas !
Voilà un vrai problème pour continuer à avancer… nous ne pouvons pas faire près de 3000km dans ces conditions. On se pose pour une vraie réflexion. Peut-être vaut il mieux laisser le Truck pour l’hiver à Oulan-Oude ou Irkoutsk et prendre l’avion pour l’Asie du sud-est… y passer les mois froids au chaud version « sac-à-dos » et revenir après la fonte de la neige ? Nous commençons à regarder les prix des billets d’avions… et appelons Victor notre ami russe d’Akademgorodok pour avoir son avis. Il connaît le relief de la région, confirme que la route ne sera pas déneigée, mais se veut plutôt rassurant. Pour lui ce sont les toutes premières neiges qui arrivent par à-coups. Il devrait encore y avoir des redoux entre les tombées, à la semaine près nous devrions pouvoir passer au travers des flocons. Il a fait une enquête météo extrêmement détaillée pour chaque patelin à traverser et nous a établi un planning serré : tel matinée il faut avoir passé telle ville, sinon tempête de neige. Là, neige de toute façon, il faudra attendre un jour pour le redoux qu’elle fonde, etc.
Avec ces bons conseils nous retournons voir l’allure de notre pente verglacée du matin et tombons, au même endroit, sur une route dégagée par le soleil de l’après-midi ! Nous allons donc continuer à avancer avec l’œil sur la météo et l’option Asie du sud-est sous le coude au cas où nous serions vraiment coincés.
Arrivés à Tchita, dernière grande ville (très grande en fait !) sur la route, nous n’avons absolument pas le temps de faire du tourisme : nous nous réveillons aux aurores pour trouver un garage où réparer notre pneu crevé et filons avant 11heures… l’heure à laquelle la neige était annoncée…
De là nous avons fait trois très grosses journées de route pour contourner la Mandchourie et passer la partie la plus au nord et la plus montagneuse. Une excellente occasion de rattraper tout le travail scolaire que les très mauvaises pistes mongoles nous avaient empêchées de faire !
En route nous avons parfois un peu de neige, mais pas assez pour verglacer la chaussée, jusqu’au 3ème jour où la route est vraiment recouverte et très vallonnée. Nous hésitons de nouveau… on s’arrête en bas d’une pente, on l’étudie… on regarde comment les autres passent… on y va finalement en n’étant pas franchement rassurés et on tombe au sommet sur une file de 50 camions arrêtés sur le bas-côté : sans doute ont-ils trouvé eux aussi que cela devenait trop dangereux ! On se met dans la file à attendre comme tout le monde… mais attendre quoi ? Un redoux ? Au bout d’une heure arrive un autre camion-benne rempli de terre avec deux bonshommes dedans en train de pelleter sur la route quelques petits tas réguliers. Cela semble leur suffire, ils repartent tous…
Comme sur une rampe de lancement, quand arrive notre tour nous n’avons pas tellement d’autre choix que de suivre les départs, à 20km/h et à bonne distance de notre prédécesseur nous amorçons donc la longue pente suivante. 2km plus loin nous avons retrouvé quelques-uns de ces camions coincés à patiner en montée et barrant la route. Tout le jeu est alors de les éviter, sans donner de coups brusques et sans changer l’allure, surtout sans s’arrêter pour ne pas se retrouver dans la même situation qu’eux.
Nous avons eu finalement 300km de neige verglacée sur laquelle nous avons dû rouler comme cela. Par chance notre camion accrochait finalement suffisamment à la route et Nicolas s’est peu à peu aguerri à cette conduite sur neige : roulant très lentement et sans mouvements brusques, on garde alors relativement le contrôle sur le véhicule. Avouons que nous avons tout de même intérieurement maudit les fonctionnaires chinois quelques fois… ! A voir les camions couverts de neige arriver par la suite de là où nous étions passés et les prévisions météo, il est bien clair qu’à une semaine près, sans pneus neige, nous ne passions pas.
Nous levions parfois les yeux de la route pour voir beaucoup de forêts de bouleaux et de sapins, joli sous la neige lorsqu’elles n’étaient pas complètement brulées. Ce qui surprend sans doute le plus en traversant cette partie de la Sibérie est le nombre de feux organisés par les villageois pour effectuer des cultures sur brûlis. Presque partout les forêts sont brulées, lorsque les arbres ne sont pas complètement calcinés ils le sont au moins à la base, offrant un paysage bicolore : noir en dessous, blanc au-dessus. Dans les parties totalement brulées il reste des petits tas de cendres à perte de vue, donnant un paysage assez étonnant lorsque la neige vient recouvrir le tout.
Lors d’un de nos bivouacs nous nous sommes retrouvés à dormir par hasard devant la caserne des pompiers. Au réveil ils nous ont fait une visite VIP des vieux véhicules dont ils se servent et une démonstration de leur habillement express ! Nous en avons profité pour leur poser des questions sur ces incendies qui ravagent tout le pays, ils nous ont bien confirmé qu’ils étaient provoqués par les hommes, et pas toujours surveillés (les étendues brulées sont trop vastes). C’est à se demander ce qui reste d’animaux dans cette zone…
Dans ces villages l’ambiance est finalement un peu partout la même : tous les hommes sont habillés en militaires - nous avons émis l’hypothèse que c’était des vêtements bien chauds et non salissants pour l’extérieur et qu’ils devaient probablement les récupérer de surplus à des prix réduits – les maisons encore toutes en bois fument, de la neige, quelques commerces très peu achalandés, et le transsibérien qui siffle régulièrement lors de son passage.
Compte tenu de ces longues routes un peu tristes, nous avons été particulièrement contents de retrouver Elodie, Hugo et leur bébé Léon (www.bebe-globetrotteur.com) que nous avions rapidement croisé au Kirghizstan ! Nous savions que leur projet était de rallier la Corée et le Japon après la Mongolie et avons donc repris contact avec eux pour voir si nous aurions l’occasion de nous croiser de nouveau. Ils étaient une semaine devant nous et avançaient sans neige… nous avons donc forci l’allure pour les rejoindre, et ne les avons plus quittés jusqu’en Corée du sud !
Passé le grand crochet vers le nord le relief est redevenu plus doux, les températures remontent un peu, l’orangé remplace le blanc, nous retrouvons enfin l’automne après avoir fait la course à un hiver prématuré.
Nous nous autorisons notre premier détour un peu plus touristique, passant par Svobodny, le village où s’est installé le nouveau site de lancement de fusée russe une fois qu’il a fallu quitter Baïkonour qui se trouve maintenant au Kazakhstan. Nous faisons une halte agréable le long de la Zeya, le temps de se poser enfin un peu après toute cette route. Hugo initie Arthaud à la pêche. Deux hommes les voyant faire sont gentiment partis nous chercher un gros poisson de leur prise du matin que nous avons fait griller au feu de bois !
Sortant de cet endroit nous ne nous méfions plus et nous retrouvons embourbés en dix secondes dans un gros trou à boue le long de l’eau ! Heureusement que nous étions à deux véhicules pour qu’ils puissent nous tirer et nous sortir de là !
Continuant la route nous sommes arrivés à Blagovechtchensk, sur le bord de l’Amour, où nous avons été impressionnés de voir la Chine juste de l’autre côté du fleuve ! On y distingue très bien les caractères chinois sur les immeubles… le soir venu tous s’illumine ! Côté russe une ville paisible de province, quelques bâtiments assez bas qui ont un certain cachet ; côté chinois d’énormes buildings et la vie en technicolor avec feu d’artifice !
A peine arrivés, plusieurs russes se jettent sur nous, curieux de savoir d’où l’on vient et ce que l’on pense de leur ville ! L’un d’eux a immédiatement appelé l’équipe de journalistes locale qui s’est déplacée avec caméra et photographe pour faire une interview. Deux heures plus tard nous passions à la télé et un article nous était dédié sur leur site (http://www.amur.info/news/2017/10/20/131103 )
Halte suivante à Birobidjan, chef-lieu d’une étonnante région autonome juive, concédée par l’état russe un peu avant la création d’Israël. Des colons arrivés de partout sont venus « tout construire » dans une Sibérie à l’époque peu développée. On y trouve encore maintenant un grand pourcentage de familles juives, une bibliothèque immense, et avec des livres rares, en yiddish. Les plaques de rue sont dans les deux langues. Opéra, théâtre, expositions photo sur les premiers colons, musées, la ville est bien développée sur le plan culturel.
Nous avons apprécié le petit marché où les femmes vendent ce qu’elles ont tricoté pour l’hiver et où nous avons trouvé du crabe du Kamtchatka ! Avec les nombreuses sortes de saumons fumé et de caviars vendus pour des broutilles, ces mets sont devenus nos bases de pique-nique principaux ! Avec quelques « pirojki » (beignets aux pommes de terre, ou chou, ou légumes au fenouil) et les soupes fabriquées avec les légumes des datchas vendus par les retraités sur le bord des routes nous avons très bien survécu d’un point de vue alimentaire.
Nous avons passé nos 30.000 km sur la route de Khabarovsk ! Grande ville de l’Extrême-Orient, à l’intérieur des terres comparée à Vladivostok qui est la ville de la mer. Nous ne sommes malheureusement pas assez avancés dans l’hiver pour y trouver les expositions de sculptures sur glace et les patinoires naturelles mais nous y trouvons quelques surprenants bâtiments art-déco, une magnifique plage aménagée sur les bords de l’Amour et deux musées particulièrement intéressants : un musée des beaux-arts et un musée régional qui présente les animaux de la région et des salles sur les ethnies du grand nord.
Nous avons fait cette route en lisant l’histoire passionnante de la colonisation progressive de l’Extrême-Orient russe par les cosaques. Sortes de mercenaires aventuriers, ils étaient payés par de riches marchands et avançaient dans ces territoires au climat rude à l’extrême dans le but de trouver de nouvelles ressources naturelles à vendre (peaux, bois, mines, etc.). Ils participaient aussi à l’établissement politique de la Russie dans la zone, négociant, parfois bataillant avec la Mandchourie voisine. Ils ont largement contribué à la découverte du territoire pour trouver de nouvelles voies navigables et ont semé des villages sur leur passage le long des berges. Certains étaient d’anciens hors la loi, finalement graciés par le gouvernement, et trônent maintenant en fonte au milieu des places, comme Khabarovsk qui a même donné son nom à la ville.
Quelques zones alentours méritent d’être visitées : la province de la Yakoutie plus au nord, l’ile de Sakhaline où l’on peut se rendre assez facilement en ferry, et surtout la mythique péninsule du Kamtchatka. Mais en octobre nous sommes vraiment en dehors de la saison praticable, les routes sont verglacées et trop risquées, la seule activité possible est le ski, impossible d’aller voir la chaine de volcans accessibles que lors des deux mois d’été.
Nous avons continué à descendre plein sud et avons encore fait une halte au bord d’un poétique lac rempli de lotus fanés avant d’arriver à Vladivostok.
« Vladivostok est une ville que les grands vagabonds traversent souvent, mais où ils ne s’arrêtent guère. Par quoi les retiendrait-elle ? Une fois que, venant du Japon, on a découvert sa rade, ornée de collines doucement ondulées, que l’on a admiré le travail du brise-glaces, monstre maladroit qui effondre la carapace du gel dans un sillon d’eau vierge et sombre, Vladivostok n’a plus d’attraits.
Le Pacifique y vient mourir sous un ciel si brumeux que l’on croit avec peine que le même océan berce Honolulu de vagues de corail et d’or. La ville est terne et sale, toute en longueur, étirée selon une rue interminable et boueuse, la Svetlanskaïa, d’où partent, en maigre éventail, des impasses et des culs-de-sac. Des immeubles sans style, construits vers la fin du siècle dernier, d’immenses casernes, sont flanqués d’un quartier japonais sans grâce et d’un quartier chinois sans mystère avec des maisons d’amour navrantes.
Sur tout cela tantôt une misère mesquine, tantôt un laborieux mauvais goût.
Comme tu le vois, c’est un de ces nœuds inévitables qu’imposent de longs itinéraires et que l’on ne songe qu’à quitter au plus vite. »
Joseph Kessel, Les Nuits de Sibérie, 1928.
Si elle évoque pour nous le terminus du transsibérien et le bout de notre continent Eurasien, Vladivostok est surtout une petite ville hype, inondée de magasins branchés, vêtements de créateurs, mobilier design, restos tendance, galeries d’art contemporain… presque un siècle plus tard, nous voilà bien loin de la description de Kessel !
Tournée vers la mer on y visite un sous-marin, le 2ème plus grand aquarium du monde, et le phare « du bout du bout » … Un habitant de cette ville doit probablement ressentir la même chose lorsqu’il arrive, de l’autre côté, aux derniers phares du Finistère. On réalise ici que lorsqu’on se décentre pour mettre l’Océan Pacifique au centre, la Russie est voisine des Etats-Unis, de la Chine, des Corées et du Japon… elle qui nous semble si proche lorsqu’on est à Moscou compte aussi des frontières bien plus lointaines. A vrai dire, bien qu’étant dans le même pays, quand on se lève à Moscou… on s’endort ici.
Un petit funiculaire permet d’accéder au « nid d’aigle », panorama sur les collines de la ville, on y repère les deux ponts qui font la fierté des habitants et le port industriel si actif.
Avant de quitter le pays nous avons dû avancer dans notre « to-do list » : trouver un endroit pour faire une radio du pied de Nicolas (gratuite dans un centre où nous n’avons pas attendu plus d’une heure… l’os se consolide bien), envoyer par la poste les documents emportés avant le départ et signés pour poursuivre le congé parental de Nicolas, prendre les tickets DBS ferries qui doivent nous mener en Corée du sud (réservés depuis quelques semaines), terminer la paperasse pour la Corée et le Japon concernant le dédouanement du camion et les assurances (nous avons passé une journée à faire les documents en russe nous-même pour économiser les frais du « broker »), trouver des yens (pas de banque à l’arrivée au Japon et le taux est meilleur pour tirer/échanger en Russie), nettoyer le camion (il doit arriver propre en Corée – et n’avait pas été nettoyé depuis les pistes mongoles ! Impossible de trouver un nettoyeur de camions, on a fini par le nettoyer à la main !), donner notre feutre isolant et jeter la peau de mouton offerte au Turkménistan (pas de produits d’origine animale acceptés dans les deux pays suivants). Nous n’avons pas eu le temps de terminer cette liste : faire le plein d’eau potable, de grosses lessives, changer une de nos lames brisées depuis la Mongolie. Et nous avons un nouveau problème : l’alarme de notre batterie de cellule se déclenche dès qu’on allume le chauffage ! Nous voilà obligés de dormir avec un agaçant bruit de criquet. Tout cela attendra la Corée…
Il a fallu mettre le camion sur les docks la veille du départ et payer une entreprise pour le charger le lendemain dans le ferry qui se trouve à dix mètres. Les quais du port sont considérés comme étant des espaces militaires, nous n’avons donc pas le droit de le charger nous-même ! Nous avons donc dû trouver une auberge pour la dernière nuit, en avons profité pour prendre de grosses douches, et avons quand même aussi profité du fait de dormir dans des « vrais lits » pour la 3ème fois du voyage !
Embarqués dans notre ferry nous avons subi la traversée avec une houle de cinq mètres et n’avons pas mis longtemps à avoir le mal de mer ! Trois estomacs sur six n’ont pas résisté… allongés nous avions quand même la sensation d’être dans un Grand 8 en permanence ! Avant que l’on se retrouve cloués au lit nous avons eu le temps de retrouver un couple d’allemands rencontrés à l’auberge Oasis d’Oulan-Bator : ils ont confié leur petit véhicule à une société de transport qui l’a fait rentrer dans un container pour traverser la Chine (sans eux, donc sans avoir à obtenir les fameux visas) et leur livrer directement en Thaïlande où ils le récupéreront, contournant ainsi du même coup l’interdiction faite aux véhicules étrangers d’entrer dans le pays ! Nous avons aussi rencontré un couple de suisses Monika et Peter arrivés jusque-là avec le Transsibérien en 15 jours, faisant ainsi le tour de l’ensemble des non-coréens présents dans ce bateau. Le soir venu notre ferry a longé la Corée du Nord dans un étroit couloir lumineux, et le lendemain nous pouvions enlever nos anoraks en apercevant les côtes de la Corée du Sud !