Ouzbékistan : route des mondanités !
Arrivés par le nord-ouest de l’Ouzbékistan le passage de frontière se fait encore sans encombres: deux heures, six guichets, fouilles, papiers à colorer. La coquetterie est ici de déclarer au centime près les devises que l’on porte. Côté turkmène on demande 25 dollars sans raisons à Nicolas qui cette fois explose de rire (remarquez la variation dans ses stratégies) et consent à distribuer des Oméprazols faisant fonction. De gentils ouzbèks nous accueillent de l’autre côté en français (!). Pour la première fois pas d’assurance vendue à la frontière, nous trouvons à nous assurer dans la ville voisine de Noukous à 4,50eur pour 20 jours ! A ce prix difficile d’imaginer ce pour quoi nous serions effectivement assurés en cas d’accident… Nous nous dirigeons ensuite vers le bazar où l’on peut changer des dollars en soum au marché noir au double du taux officiel et avec l’assentiment des autorités locales. Ce système parallèle permet aux ouzbèks d’engranger des monnaies étrangères stables plutôt que de la monnaie locale qui connaît une importante inflation. L’achat d’une carte sim locale nécessite un passeport ouzbek, mais lorsque nous avons cherché à en acheter le vendeur s’est montré mollement dérangé, a attrapé le premier passant venu lui demandant une photocopie de son passeport pour l’enregistrer, et nous a vendu un nouveau numéro.
Lors de ces démarches nous recevons avec joie un message de Marie et Stijn rencontrés en Iran : ils sont à Noukous aussi, nous attendent pour la soirée et ont acheté des bières pour fêter l’évènement ! Autour d’un poulet rôti sur une des places de la ville ils nous racontent leurs déboires : seule Marie a obtenu le visa Turkmène, pas Stijn ! Elle a donc dû partir seule avec sa voiture pour traverser le désert turkmène pendant les cinq jours impartis, ainsi que les deux postes frontières : on admire vraiment ! Pendant ce temps Stijn a eu la joie de faire le trajet Mashad-Téhéran(train)- Istanbul(avion)-Tachkent(avion)-Boukhara(train)-Noukous(bus)… 36h de voyage plus tard il était de l’autre côté pour nous accueillir tous avec du Nutella rapporté d’Istanbul en prime ! Pour ce premier soir ouzbek festif la police est venue nous déloger, nous demandant de rejoindre le parking d’un hôtel. Nouveauté en Ouzbékistan, il y a un système d’enregistrement : pour les personnes avec leur propre véhicule il faut s’enregistrer dans un hôtel tous les trois jours (pour les personnes venant en avion c’est tous les jours). Mais dans les grandes villes nous apprenons que la police aime de toute façon nous savoir devant un hôtel.
Le lendemain nous profitons enfin d’une connexion wi-fi plutôt bonne et non censurée pour mettre à jour le blog ! Puis nous visitons ensemble le musée de Noukous réputé comme étant un des plus intéressants d’Asie Centrale.
Nous commençons par un pèlerinage écologique et rejoignons la ville de Moynoq au nord, jadis port de la mer d’Aral, nous y découvrons de petites maisons blanches au toits bleus avant de s’arrêter devant des coques de bateau rouillées qui reposent depuis 40ans sur du sable. Pour apercevoir ce qui reste de cette mer salée après autant de temps utilisée à la culture du coton (très consommatrice en eau) il faudrait encore rouler 250km au milieu de dunes. Au monument dédié à ce désastre nous trouvons trois cyclistes : Perry un australien et Martha et Coco un couple d’espagnols. Tous les trois venus d’Europe et sur les routes depuis des mois, ils vont, l’un vers l’Australie comme nous, les autres vers le Japon. Après avoir traversé la Caspienne et quelques centaines de kilomètres de steppes Kazakhs puis Ouzbeks ils ont accepté de partager 250km de très mauvaise route à neuf dans notre cabine, avec leurs trois vélos et quinze pochettes stockés dans notre partie maison roulante.
De retour à Noukous nous les déposons pour rejoindre Khiva le même jour (ornières de bout en bout, 9h de route affreuse, en fait pas de route à plein d’endroits, de la terre qui s’envole en poussière, arrivés passé minuit, la plus longue journée depuis le début du voyage !), traversant rizières et enfants qui se baignent dans tous les bras de l’Amou-Daria (si vous tenez à garder une vision plus romantique). Nous nous sommes jetés dans notre premier hôtel depuis le départ qui nous a offert une chambre avec petit déjeuner pour six à 25 dollars. Le lieu s’est avéré particulièrement serviable, nous avons fait deux lessives (y compris les draps), rempli une de nos deux bouteilles de gaz vidée à la frontière turkmène, et fait le plein. Les véhicules ouzbeks roulent au gaz dont le pays est producteur, il est donc difficile de trouver de l’essence, et encore plus du diesel. Un marché noir parallèle du fioul s’est donc aussi installé progressivement, et souvent, aux abords des routes, des hommes nous tendent un pouce vers le bas, nous proposant ainsi du diesel. Régulièrement les hôtels proposent aussi le service de nous remplir les cuves. Quelqu’un arrive alors avec plein de bouteilles en plastique et verse le contenu - de bonne ou moins bonne qualité - dans le réservoir.
L’Ouzbékistan compte trois villes très touristiques, anciennes et bien conservées, jadis centrales sur la route de la soie. Khiva était le marché des esclaves : la plus petite, la plus éloignée de la capitale, sans doute aussi la plus charmante. Nous y rencontrons – comme sur la route touristique Ispahan-Shiraz en Iran – plusieurs groupes de français. L’un d’entre-eux voyageait avec un EXCELLENT guide parfait francophone, cultivé, passionné et charmant : Chamzeddine (neoshams@mail.ru). Il nous a conseillé de nous rendre dans le camp de yourtes de Rano, au milieu du site des cinquante forteresses. Nous y sommes restés deux nuits à déjeuner et diner dans sa magnifique yourte Karakalpak (les plus belles d’Asie centrale), nourrir les chameaux, discuter avec les touristes de passage (dont un collègue bruxellois de Nicolas et sa femme – a qui nous avons du coup confié notre carte ticket restaurant, restée inutilement dans notre portefeuille jusque-là !), et surtout à regarder le ciel de nuit du toit du camion à partir duquel on distinguait parfaitement la voie lactée…
Sur la longue route désertique de la ville suivante : Boukhara, nous pêchons cette fois Thomas, un autre cycliste parti d’Italie et en route pour la Chine, de nouveau content que nous l’invitions avec son vélo après trois jours à pédaler seul sans croiser de villages. Arrivés en ville nous retrouvons tout le monde, outre Thomas : les groupes de français, Chamzeddine, Perry, Martha, Coco, le collègue de Nicolas… bref de quoi organiser une fiesta si l’on voulait avec tous nos nouveaux copains ! Et l’on s’en fait encore d’autres en nous retrouvant dans l’auberge des cyclistes… une bonne quinzaine d’autres pédaleurs s’y trouvaient, tous en train de traverser par une route ou l’autre les vastes continents Eurasiens.
Après la visite de cette deuxième superbe ville nous faisons une pause de deux jours au bord du lac Todakol, havre de repos pour les locaux. La - toujours aussi mauvaise - route qui y mène a eu raison de notre pot d’échappement qui dans un gros bruit de cageot de canettes de coca écrasées a décidé de nous lâcher. Sitôt embarqué dans la cellule nous retournons à Boukhara et optons pour le premier garage camion repéré aux abords de la ville pour le ressouder. Les mécaniciens à la fête de voir arriver des étrangers commencent par tous nous inviter pour un plov au restaurant avant de se mettre au travail. Invités d’honneur, nous voyons venir vers nous l’unique plat de cartilages récupérés dans le fond de la marmite, rien que pour nous ! Tous espérant nous voir lécher babines et doigts en vidant l’affaire. Bathille a très innocemment bien voulu aider son père, généreux du sacrifice, en goûtant avec lui un morceau indéfinissable, relativement gélatineux et blanc, pour le reste nous avons passé notre tour… partant avec le tout dans un Tupperware sous le bras et promettant de bien tout finir quand nous aurions davantage faim. Le pot rapidement ressoudé nous en profitons pour lever la cabine après tant de mauvaises routes afin de jeter un œil. Nous découvrons les deux amortisseurs de la cabine détruits et le compresseur juste en dessous fêlé par les chocs. Les mécaniciens remplacent les ressorts des amortisseurs (pas les amortisseurs qui demandent d’avoir les nouvelles pièces) et colmatent la brèche du compresseur mais à l’usage nous constatons que cela n’a pas suffi, un peu d’air s’échappe toujours… à résoudre à l’occasion.
Nous prenons cette fois la route vers la troisième grande ville touristique : Samarcande et y parvenons après un bivouac-bord-d’autoroute près d’une fontaine d’eau potable (rarissime dans le pays) où nous avons passé la soirée à remplir nos 300L de bidons bien vidés depuis l’Iran. A Samarcande nous trouvons de nouveau l’auberge de cyclistes avec tous nos amis cyclistes… et d’autres qui voyagent en stop ou train… et une famille en plus ! Steve, Gilly et leurs deux filles Alicia et Lucy voyagent depuis quatre ans en camion aménagé (www.overlandingfamily.com). Ils rentrent en Angleterre pour scolariser leur ainée dans le secondaire après avoir traversé les Amériques, été en Antarctique, voir les îles Galapagos, fait un tour en Afrique, être restés neuf mois en Australie et en Tasmanie, avoir traversé la Birmanie, l’Inde où ils ont vu des tigres en liberté, le Pakistan… il y a quelques semaines ils étaient au camp de base de l’Everest au Tibet. Nous avons passé deux soirées à échanger quantité d’informations et vécus et, bien que ne parlant pas la même langue, nos enfants se sont immédiatement trouvés : ils n’avaient pas croisé de famille d’overlander (c’est nous ça) depuis plus d’un an!
Comme aux temps de la route de la soie où Boukhara et Samarcande étaient au centre de routes qui partaient en faisceau à l’ouest et à l’est vers différentes destinations, nous avons constaté qu’encore de nos jours, les voyageurs cherchant à relier l’Europe et l’Asie s’y retrouvent, quelques soient les autres chemins empruntés.
Nous laissons donc la plupart des cyclistes filer vers la si belle route du Pamir au Tadjikistan et prenons la route de Tachkent, la capitale. Depuis quelques jours nous sommes inquiets de ce que nous entendons/lisons : le visa russe si facile à obtenir dans cette ville ne serait plus distribué qu’aux résidents depuis trois mois… exception faite pour certaines nationalités dont les belges ne font pas partie ! Nous campons donc devant l’ambassade pour avoir confirmation de ces informations, et passons la soirée dans un immense supermarché sous le regard excité de la smala contente de redécouvrir : pesto, parmesan, moutarde, huile d’olive, basilic, céréales, beurre, confiture de framboise, oranges, grosses pommes et quantité de denrée que nous n’avions plus vu depuis longtemps.
Le lendemain nous apprenons que nous pouvons tout à fait demander nos visas, nous sommes mardi, les demandes peuvent être introduites les jeudis de 10h à 12h. Nous cherchons donc une auberge avec une bonne connexion internet pour commander les lettres d’invitation payantes (20 dollars par personne), remplir les documents ad hoc en ligne, réserver les hôtels en Russie comme demandé (à annuler aussitôt le visa en poche), et se faire envoyer d’urgence une lettre d’Europ Assistance écrite en anglais et spécifiant que nous serions pris en charge en Russie en cas de pépin. Parenthèse à ce sujet : déjà trois articles publiés sur nos aventures sur leur blog : http://blog.europ-assistance.be/dossiers/tous-les-articles-du-dossier-de-bruxelles-a-sydney-en-truck/ … ( ?)
Nouveau problème… aucune auberge ne veut de nous dans la capitale, arguant que s’ils nous acceptent sans enregistrement pour le jour précédent ils auraient 1000eur d’amende. Nous tournons un peu et tombons finalement dans une auberge visiblement mieux renseignée (avec son propre véhicule, on peut en effet bien s’enregistrer tous les 3jours)… enfin acceptés ! A l’intérieur nous trouvons Daniel, un motard Suisse qui se rend en Chine. En quelques minutes nous faisons le lien : il est dans notre convoi de Chine ! Incroyable que nous l’ayons déjà croisé par hasard ici !!! Sauf à Khiva nous avons toujours négocié les enregistrements : nous payons entre 16 et 20 dollars pour avoir les documents et bénéficier de services (toilettes, douches, wifi, parking, accès aux pièces communes, petit-déjeuner… et même ici cuisine !), mais nous dormons chez nous dans notre Truck. Une fois les documents imprimés nous allons visiter la ville : petit tour au Bazar Tchorsou et sur la place Khast Imam où les enfants ont fait du toboggan avec de nouveaux copains sur un bout d’allée les fesses posées sur des bouteilles en plastique écrasées.
Le jeudi nous avons passé la matinée à l’ambassade, en fin d’attente nouvelle surprise, le prix du visa annoncé en sums sur internet ne correspond plus du tout à ce qui est demandé : 80 dollars par personne, à payer en dollars, et même prix pour les enfants ! Nous n’avons pas cette somme en poche. Course : déjeuner, taxi, repérer l’unique banque de la ville qui distribue des dollars (moyennant les petits papiers d’enregistrement, son passeport, et au moins une demi-heure à arpenter trois étages accompagnés d’une demoiselle pour cueillir des tampons à 3 ou 4 guichets différents), re-taxi en trainant tout le monde, re-file devant l’ambassade, re-file dedans, payé à temps ! A 17h nous étions sortis avec un rendez-vous le lundi suivant à midi pour collecter les documents. Après ces trois jours charmants vécus de surcroit dans la canicule qui a inondé la ville : 42°C à 46°C en permanence à l’ombre, impossible de marcher au soleil (62°C) ou de rester dans le camion qui culmine à 49°C en journée… nous nous jetons sur l’autoroute pour rejoindre une réserve naturelle et son lac Tchorvok au nord, espérant passer le week-end d’attente à barboter.
A l’arrivée nous sommes en mode « radar pour trouver un bon spot » lorsqu’un Monsieur nous arrête sur le bas-côté, gentiment il nous fait des signes qui semblent vouloir dire « Si vous cherchez un endroit pour vous garer venez chez moi !», et nous mène cent mètres plus bas à un vaste emplacement près de résidences de vacances avec piscines. Il nous invite à diner chez lui avec ses amis de passage : agneau et pommes de terre confits, melon, pastèque, chocolat… et le tout à trinquer à la vodka ! Une de ses amies nous invite même chez elle à Tachkent le dimanche suivant pour un plov ! Le lendemain nous avons l’autorisation de nous jeter dans sa piscine ! L’après-midi un groupe d’institutrices hilares en « congé pédagogique » dans une des résidences nous refait l’honneur d’une invitation à déjeuner… et nous invitent à nous jeter dans leur piscine ! Cette fois il y a du monde tout habillé dans l’eau. Pas de mer en Ouzbékistan, les rares lacs sont loin : n’ayant pas souvent l’occasion de nager, seules deux d’entre-elles ont des maillots de bains et la plupart ne savent pas nager. Le lendemain encore, nous sommes invités à partager la piscine de deux couples de jeunes mannequins russes venus passer le we dans le coin. Nous n’aurons pas mis un orteil dans l’eau du lac mais nous aurons bel et bien barboté !
Partant à la recherche d’un enregistrement nous découvrons vite que seuls deux hôtels ont l’autorisation de les distribuer aux abords du lac, et ils coutent 102 dollars ! Nous refusons d’être pris en otage à payer ce prix exorbitant pour un petit bout de papier et rentrons donc à Tachkent dès le samedi soir. Les enfants auraient sans doute opté pour le fait d’y rester… nous les avons surpris il y a quelques jours à jouer au Kapla « Et si on construisait des hôtels de luxe avec piscine et wifi ? » !
Invitation à diner honorée et visas en poche nous partons traverser la belle vallée de Fergana qui mène au Kirghizstan. Grande présence policière tout au long de ce dernier trajet, nous devons descendre de voiture et être enregistrés régulièrement. Les photos des téléphones et tablettes sont vérifiées systématiquement. Un policier a vainement tenté de demander si Nicolas avait des dollars… il a répondu que les dollars n’existaient pas dans son pays… ce qui a suffi à le décourager.
Nous nous permettons tout de même une dernière visite touristique dans une intéressante usine de soieries (tapis et tissus) qui est pour nous une sorte « d’aboutissement » de ce que nous avons déjà récolté comme informations sur la soie : depuis la vallée de l’Arras en Iran où nous avions vu nos premiers vers, la visite des caravansérails et des grandes villes-carrefours où nous avons assisté à la fabrication des tapis, nous avons ici eu tout le processus de bout en bout et les réponses à nos dernières questions.
Dernière soirée encore bien chaude à Andijan près d’un des plus grands marchés du pays où nous avons trouvé un petit matelas qui sert d’assise aux tables de repas pour remplacer provisoirement le rôle des amortisseurs toujours défaillants ; et de la vaisselle ouzbèke, absolument identique dans toutes les maisons et restaurants du pays, bleue et blanche, les motifs représentent des fleurs de coton.
Pour ce début de grandes vacances nous en profitons pour faire un point classe… nous continuons à avancer lentement et accusons de fait du retard à rattraper pour la moitié de l’effectif. Les enfants s’ennuient en voiture et finissent par se chamailler sans cesse quand ils ne travaillent pas. Donc pas de grandes vacances pour nous, on continue à travailler à notre rythme.
Prochaine étape les montagnes kirghizes où nous espérons, ENFIN, du frais !