D'Istanbul à Ankara
Notre entrée en Turquie a coïncidé avec quelques gros changements : nous n’y trouvons plus d’eau potable partout, nous avons prévu d’y ralentir le rythme (2-3h/jour de conduite au lieu de 4h/jour), d’acheter des cartes Sim locales pour avoir internet tout le temps (avant nous ne restions que trop peu de jours dans chaque pays pour que cela en vaille la peine, on s’est accommodés des mauvais wifi), et surtout… de commencer l’école (joie et courage) !
Notre première idée est de profiter des moments de route pour faire le travail scolaire. Aménagements évidents : gros rangement des affaires de classe, passage d’un adulte à l’arrière pour se retrouver au milieu de tout le monde tandis que l’enfant le plus autonome passe à l’avant, et surtout nous avons imposé au maximum le silence. Les trois 1ers qui terminent correctement leur travail peuvent jouer à la tablette (sur laquelle il y a aussi plein de jeux éducatifs… gnac gnac). Pour le moment ça fonctionne… voire même les enfants aiment bien s’y mettre (je vous entends... pourvu que ça dure...). Ils ont des explications personnalisées et aiment apprendre des nouvelles choses. L’avantage est qu’on suit très bien ce qu’ils font permettant d’intégrer dans le quotidien certaines notions (polygones, lire l’heure, système digestif…). Tous les matins ils écrivent dans les cahiers offerts par leurs classes ce qu’ils ont aimé ou retenu de la veille : une ou deux phrases minimum mais ils doivent les écrire correctement. Le tout prend +/- 3 heures ce qui nous laisse tout le reste du temps pour apprendre autre chose et autrement…
La Turquie est si vaste que même en y restant un mois il a fallu faire des choix d’itinéraires, impliquant de gros renoncements. Après Istanbul nous avons finalement opté pour un petit crochet vers Safranbolu avant de rejoindre Ankara puis la Cappadoce. Nous filerons ensuite vers l’est. Nous faisons l’impasse sur les côtes (de trop gros détours de la route vers l’Iran, et d’une manière générale la plage c’est moins notre truc, il fait encore un peu frais, et on en aura plein en Asie du sud-est) et le site de Nemrut (beaucoup trop près de la Syrie pour nous).
Mais d’abord : Istanbul ! Première vraie grande étape pour nous au bout de 3.000 km ! Nous avons trouvé un endroit tranquille près d’une plaine de jeux (et de la gare) et y sommes restés 3jours… le temps de visiter quelques-unes des nombreuses merveilles de cette ville. Loukoums à la rose, terrasse avec vue sur le Bosphore, hammam, rues grouillantes, plafonds peints, mosquées grandioses, Sainte Sophie… nous avons largement usé nos souliers et nos papilles !
L’étape turque est celle qui nous rendait le moins à l’aise compte tenu du contexte politique actuel, d’autant plus que le referendum tombait le jour où nous devions y rentrer. Nous avons laissé passer quelques jours exprès pour s’assurer que l’ambiance ne se dégrade pas. Arrivés à Istanbul nous avons été frappés par le peu de touristes dans le centre historique… aucune file nulle part. Un commerçant du Grand Bazar nous expliquait que c’était la catastrophe économique depuis le dernier mandant de « celui dont on ne prononce pas le nom », c’est beaucoup trop calme pour eux tous. Il y a une dizaine d’années les touristes étaient surtout Européens, aujourd’hui, ceux qui visitent Istanbul sont surtout les turcs et les personnes habitant au Moyen-Orient ou en Asie mineure, avec, en moyenne un plus faible pouvoir d’achat. Nous avons par exemple rencontré une autre famille de touristes avec 4 enfants, de très sympathiques Irakiens dont le père, Ali, était tout heureux de pouvoir montrer la mer pour la première fois à ses enfants. Pour le reste, au niveau de la sécurité nous nous sommes sentis exactement comme à Bruxelles : des portiques et des gardes aux endroits stratégiques, touristiques, et dans les métros, et ailleurs les gens vivent normalement.
Vu le peu de monde, les marchands se jetaient sur les enfants pour les gaver de ce qu’ils cherchaient à nous vendre (pâtisseries, sucreries confites, loukoums, figues, fruits séchés, etc.), autant dire que personne n’avait faim au moment des repas. Ils ont aussi profité des nombreux « pinces-joues » sur qui on tombait à chaque coin de rue… et ont même fait un petit concours pour savoir qui en récolterai le plus à force de sourires charmeurs…
Nous avons quitté la ville avec de très beaux souvenirs plein la tête.
Le lendemain nous avons fêté notre Albe qui a eu ses 9ans !
Petit détour par Safranbolu, une des plus anciennes et charmantes villes de Turquie, où l’on produit surtout du safran. Les anciennes maisons ottomanes sont parsemées sur plusieurs petites collines et le vieux centre est encore habité d'artisans qui travaillent le métal : on a regardé pendant de longues minutes se façonner les plateaux ciselés et les serrures gravées. La route qui y mène prend de l’altitude et nous a fait côtoyer la neige à 1.300m. Excellente occasion de tester notre poêle à bois qui a fait des merveilles en chauffage !
En route vers Ankara nous avons réalisé que nous pouvions y demander les visas Turkmènes… avant midi (le guichet est maintenant totalement fermé à Istanbul mais pas à Ankara. Autrement il nous faut le demander à Téhéran - plus de rejet - et le récupérer à Mashad en Iran) ! En pressant la troupe nous sommes arrivés tout pile à midi mais le temps de récolter les documents nécessaires au dépôt de demande il était 14h30 ! Le guichetier est resté ouvert patiemment… pour nous… Pendant ce temps Nicolas courait se raser (à nouveau plus de rejet pour les personnes à barbe), se faire tirer le portrait, faire des photocopies couleur, payer les frais (60 dollards) à la banque qui va bien à 15 minutes de marche de l’ambassade, écrire la « lettre de motivation » demandant à qui de droit de bien vouloir nous laisser entrer…. Rien ne dit que nous allons obtenir ces visas, un mail devrait arriver pour nous dire si oui ou non le Ministère accepte que nous rentrions. Auquel cas on pourra les récupérer à Téhéran. Sur LE site qui recense les informations sur les visas des « -STANS », il n’y a pas de témoignages de personnes ayant obtenu le visa depuis Ankara depuis 2 ans… on innove ! Et tout ça pour un visa de transit de 5jours, nous autorisant à traverser le pays SANS faire de tourisme.
Puisque nous étions dans Ankara autant aller y visiter quelque chose… Le choix s’est porté sur le gigantesque mausolée d’Ataturk, l’idole de tous les turcs, dont chaque ville présente une statue, une avenue, un parc ou autre. Après la 1ère guerre mondiale la Turquie s’est trouvée divisée, placée sous la gouvernance des Alliés, et affaiblie. Les grecs voisins en ont profité pour tenter une invasion. C’est Ataturk qui, en menant la « guerre d’indépendance », a réunifié le pays pour ensuite le moderniser largement et le laïciser. L’ambiance y est particulièrement solennelle. Ankara, contrairement à Istanbul, est une ville aux très larges avenues arborées, aux quartiers sédentaires, avec de l’espace… on y respire.
Avec la traversée de ces deux grandes villes nous espérions croiser un endroit où laver notre linge qui s’accumule depuis le départ… sans succès. Nous avons dû nous résoudre à tester notre machine à « laver » de camping-car que nous n’avions toujours pas inaugurée. Nous avons profité d’une journée très ensoleillée (pour alimenter la machine en électricité) et d’un bivouac miraculeusement tombé au beau milieu de fontaines d’eau de source à profusion pour nous dépanner côté linge. Par lots de 2kg, les textiles tournent avec de l’eau et un peu de savon pendant 15minutes, puis ça essore (au moins en 3 fois pour les 2kg) pendant 3 minutes, puis il faut tout pendouiller et attendre que ça sèche… Notre consommation de linge étant copieusement plus conséquente nous avons opté en parallèle pour la solution plus routarde : les jeans et autres effets plus épais sont mis dans un bidon (trouvé au Bazar égyptien d’Istanbul après deux heures de recherches et au moins quinze doigts pointés vers des directions à chaque fois plus précises) avec de l’eau et du savon sur le toit du camion. Après avoir pris les cahots de la route et le soleil pendant 3 - 4h, disons que c’est mieux qu’avant.
Lors de ce grand bivouac lessive nous nous étions posés à l’écart de l’autoroute, à 500m d’un petit village, dans un endroit isolé. Tout à coup on a vu arriver deux camionnettes bourrées d’une dizaine d’hommes en costume trois pièces coiffés de Fez alors que nous étions en train de déjeuner dehors. Ils sont sortis, ont fait des accolades amicales à Nicolas, m’ont serré d’énormes paluches, ont baragouiné des phrases en turc incompréhensible, ont fait le tour du camion… et sont repartis contents au bout de cinq minutes. Assez surprenant.
C’est sur cette dernière « rencontre » que nous avons repris une route ensoleillée vers la Capadocce…